CL : Qu’est-ce qui te pousse à écrire une chanson comme "Ali bouma yé" ?
 
MS : D'abord le personnage Mohammed Ali, et ce combat mythique de Kinshasa où personne ne donnait cher de sa peau face à Foreman, un vrai bûcheron des rings. Et au final la victoire de l'intelligence d'Ali sur la force pure de Foreman. Ça c'est pour le sens ! Après, mélodiquement, rythmiquement, au niveau du texte, du climat à créer, il me semblait qu'il y avait matière à bonne chanson. Avec en plus un joli titre.
 
CL : Tu as écrit "Engagé", chanson dans laquelle tu parles de l’engagement de l’artiste de façon un peu critique et caustique. Une chanson comme "Babouchkas", tu la ressens comment aujourd’hui dans une France qui chasse les sans-papiers ?
 
MS : C’est une question infiniment complexe, et c’est justement le côté simpliste des réponses apportées par certains artistes, mais pas seulement, qui me pose parfois problème. Pour te répondre, je suis vraiment le plus heureux des hommes si tous ceux qui veulent venir en France peuvent y être accueillis pour y vivre dignement, eux et leur famille. Il semblerait que ça ne puisse pas se faire de manière aussi idéale. On peut faire du bruit pour s’en insurger longtemps. On peut faire, et moins de bruit.
 
CL : "Entrer en scène", ça donne à l’auditeur spectateur un bon aperçu de ce que peut ressentir l’artiste dans ces moments-là. La scène, c’est pour toi aussi important que l’écriture ?
 
MS : Je ne crois pas. J'y prends beaucoup de plaisir, mais je ne suis pas d'abord un homme de scène. Juste parfois un homme sur scène.
 
CL : As-tu une chanson que tu regrettes et une chanson que tu places au-dessus des autres ?
 
MS : Que je regrette, non, aucune. Des insatisfactions parfois, a posteriori, sur les arrangements. Sinon y a quelques chansons qui sont la raison pour laquelle je fais des chansons. Le noyau du répertoire. Berlin, par exemple.
 
CL : Je voudrais te prendre à contre-pied avec la chanson "Le ciel a mal" de Bob de Guardia, que tu reprends sur ton troisième album. Si je résume sans me tromper sur le "sens", elle fait l’apologie de la vie à la campagne beaucoup plus belle que la vie en ville. Et il conclut en souhaitant que son enfant jamais ne connaisse la ville. C’est pas un peu égoïste, ça ? C’est le béton qui rend l’homme mauvais, mais qui fait le béton ? Et Dieu dans tout ça, il ne serait "responsable" que du beau ?
 
MS : Beaucoup de questions dans ton contre-pied ! C’est d’abord une chanson qui s’adressant à un enfant s’adresse également à tous les autres. Ensuite, la conclusion n’est pas le refus de la vie en ville. "Quand les raies de vigne auront quadrillé ton cœur… Tu pourras quitter la demeure". Tu iras en ville si tu veux, mais en sachant distinguer toutes les lumières, celles du printemps et celles du Printemps Haussmann. Ce n’est pas l’un contre l’autre, mais juste un équilibre, à tous les sens du terme, que le seul béton ne permet pas toujours d’atteindre. Dieu dans tout ça ? Tout ça en Dieu.
 
CL : La Normandie, ça représente quoi pour toi ?
 
MS : Un endroit où je me sens un peu chez moi, du côté d'Arromanches notamment, bien que n'en étant pas originaire.
 
CL : Tu sembles avoir une certaine admiration pour tous les métiers "manuels", ces métiers d’artisans. Te sens-tu artisan de la chanson, un artisan de l’écriture ?
 
MS : Je suis en effet très admiratif des gens dont on dit qu'ils ont de l'or dans les mains. J'ai même un plaisir épidermique à les regarder travailler. A pouvoir choisir un métier, j'aurais choisi luthier. Mais je n'ai vraiment pas ce don. Artisan de l'écriture, j'essaye.
 
CL : Ça "prend du temps à aimer" ses proches ? Les autres ? C’est difficile, voire impossible ?
 
MS : C'est assurément pas toujours facile. On a quand même je crois une certaine tendance naturelle à se préférer. Mais faut sûrement pas désespérer. De rien ni personne.
- Entretien avec Christian Lassalle pour Reims Oreille -
Christian Lassalle : Bonjour Marc. Ton parcours chanson est un peu particulier : tu peux nous en dire deux mots ?
 
Marc Servera : Salut Christian. Disons que je reviens d'une erreur d'aiguillage. J'ai d'abord fait des études, puis un peu de vie dite active, et puis la passion de l'écriture et de la musique a repris le dessus. J'essaie depuis quelques temps de me remettre sur les rails, les miens. Une affaire de sens.
 
CL : Une chanson, pour toi, c’est quoi ?
 
MS : Du sens, justement. C'est en tous cas ce qui me porte à écrire. Chercher à donner un peu de sens, de beauté.
 
CL : Du sens ? Un roman, ça a du sens, un tableau, ça a du sens et de la beauté. Mais ça reste dans une bibliothèque ou dans un musée. La chanson, c’est quoi le plus qui fait que tu écris des chansons, pas des bouquins ? Qu’est-ce qui motive ce choix ?
 
MS : Probablement parce que chanter est en moi une chose naturelle. Je ne viens pas d'une famille à la fibre très artistique, mais à 5, 6, 7 ans, je chantais. J'étais dans la famille le môme qui chante.
 
CL : Tu insistes sur le "sens" des mots dans une chanson. Est-ce que les mots ne peuvent pas être seulement le support tangible d’une émotion procurée par une mélodie et une voix ? Je pense là à "Folklores Indigo".
 
MS : "Folklores indigo" est pourtant une chanson dont je peux donner le pourquoi et le sens de chaque mot. Je n'ai pas joué sur les sonorités et les images au détriment du sens. Mais c'est vrai que contrairement à ma démarche habituelle je n'ai pas absolument cherché à mettre ce sens au premier plan. On peut s'en saisir ou "se contenter" de l'émotion procurée, pour reprendre ton expression.
 
CL : Tu te classes dans quelle catégorie : la chanson à texte, la chanson à musique, la chanson engagée, la chanson dégagée, la chanson poétique, la chanson à voix, la chanson légère, la chanson grave ?
 
MS : La chanson à paroles et musique ! Si je n'écrivais pas, je ne composerais ni ne chanterais. Le texte - le sens - est donc à la base de ma démarche. En même temps, je crois que le plaisir d'écoute d'une chanson nous vient d'abord de la musique. Elle est un peu la locomotive sans laquelle les wagons chargés des mots les plus beaux auront un peu de mal à rejoindre leurs destinataires. J'attache donc beaucoup d'importance à la mélodie.
 
CL : Et le plaisir de chanter ?
 
MS : Il est à la source de ma démarche, et toujours présent. Si je ne chantais pas, j'écrirais sans doute autrement, dans un autre format.
 
CL : Dans ma liste, J’ai oublié la chanson d’humour : c’est ton truc, ça ?
 
MS : Y a quelques temps un copain m'a fait remarquer qu'il y avait assez peu d'humour dans mes chansons. Disons que ce n'est pas mon cœur d'ouvrage en chanson. J'en ai écrit quelques unes, mais plus pour la scène, elles ont parfois trouvé leur place sur un album.
 
CL : Tu as déjà cinq albums en une décennie : tu écris beaucoup et/ou vite. Tu écris comment ?
 
MS : Je n'écris ni beaucoup ni vite. Mais comme je travaille beaucoup, ça donne assez vite quand même quelques chansons. J'écris comment ? : laborieusement, en même temps dans le plaisir.
 
CL : Et à part la chanson ?
 
MS : J'ai trois femmes à la maison, essentielles. Des bouquins, indispensables. Pas du tout spécialiste et pas assez riche pour avoir une cave, mais bon amateur de bon rouge.
Puis la vie, magnifique, même et surtout sans palace quand on a au moins et déjà la chance d'être en bonne santé.
 
CL : Sur l’album Vie Road Movie, tu rends hommage à Ray Charles et Cassius Clay, deux noirs américains : c’est le hasard ?
 
MS : Oui. Je n'avais même pas remarqué.
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